15/05/2013
« Des traces minuscules »
Madeleine (Marianne Basler), vit dans le désordre dans un appartement québécois où elle vient d’emménager. Elle devrait s’atteler à l'ennuyeuse traduction d’un rapport économico-écologique.
Mais un entrefilet du journal retient son attention. On y parle d’un certain Yu Dongyue, qui vient d’être libéré après une incarcération de dix-sept années. Qu’avait-il fait ? En 1989, il avait, place Tienanmen, avec deux amis étudiants, lancé des œufs pleins de peinture sur le portrait géant du camarade Mao. Juste de quoi laisser « des traces minuscules », mais assez pour que sa vie bascule à jamais, puisque, par suite des mauvais traitements, il a perdu la raison. Et Madeleine, qui, fit partie de ces étudiants qui, dans les années 70 voyait dans la Chine communiste l’espoir d’un monde meilleur, essaie de comprendre ce geste infime et cette condamnation démesurée.
Cette révélation tourne à l’obsession. Elle en néglige son travail,diffère les cours de français qu’elle donne à une petite chinoise expatriée, Lin (Yilin Yang) qui ne connaît rien des dissidences de son pays. Grâce l’intervention d’un voisin, Jérémie (Antoine Caubet) qui vit un tragique exil intérieur avec un enfant handicapé, Madeleine et Lin s’ouvriront à la réalité.
Menée comme une enquête journalistique Je pense à Yu la pièce de Carole Fréchette, se construit à partir de documents photographiques, d’articles et de témoignages. La quête de Madeleine devient celle d’une génération, celle des artistes qui se demandent comment intervenir dans des conflits qui oppriment les peuples, dans une Histoire qui les dépasse.
La mise en scène de Jean-Claude Berutti, est servie par une scénographie efficace de Rudy Sabounghi (qui signe aussi les costumes). Marianne Basler, femme fragile tient le rôle avec force. La jeune Yilin Yang émeut, et Antoine Caubet prend des allures de gros ours apprivoisable.
On ne peut pas rester insensible à leurs drames.
Photo © Jean-Louis Fernandez
Je pense à Yu de Carole Fréchette
Théâtre des Artistic-Athévains
Mardi 20 h, mercredi et jeudi 19 h, vendredi et samedi, 20 h 30
Jusqu’au 30 juin
01 43 56 38 32
18:07 Écrit par Dadumas dans Histoire, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, politique, histoire, artistic athévains | Facebook | | Imprimer
30/03/2013
Concerto en bleu
Jean Echenoz, dans son Ravel retrace les dix dernières années du musicien et le montre fragile mais fringant, toujours élégant, distant et susceptible.
Anne-Marie Lazarini, aime les auteurs qui « sont capables de toucher la réalité du bout d’un doigt pour qu’elle existe » et elle met en scène le roman (avec très peu de coupures). Une narratrice (Coco Felgeirolles) et un narrateur (Marc Schapira) se relaient. Ils accompagnent un Ravel (Michel Ouimet), tout de blanc vêtu (costumes de Dominique Bourde). Le plateau baigne dans un bleu atemporel et apaisant qui laque le piano, les maquettes, le transat, la carcasse réinventée d’une Peugeot, le fauteuil club, une baignoire, le bastingage du France, tous les accessoires (décors et lumières de François Cabanat).
Andy Emler, au piano, est le soliste de ce « concerto en bleu ». Il a composé My own Ravel avec des rythmes qui évoquent Ravel, des extraits des œuvres du maître, et des musiques qu’il aimait : Gershwin et Stravinsky. Il illustre et soutient ainsi le parcours des dix dernières années de Ravel, de la gloire au crépuscule.
Nous découvrons Ravel dans sa thébaïde de Montfort-L’Amaury, nous le suivons dans son voyage transatlantique sur le paquebot France, sa tournée aux U. S. A., sa fascination pour le jazz, ses insomnies, son ennui chronique. La narratrice devient Hélène Jourdan-Morhange, Marguerite Long, Ida Rubinstein. Le narrateur, joue aussi Georges Jean-Aubry, le commandant du France, son ami Zogheb, ou Wittgenstein, mais toujours sur le mode du récit : « il », et jamais « je ».
C’est une très judicieuse manière de mettre entre l ‘action et le comédien cette distance conforme au personnage Ravel qui ne montre jamais d’émotion, ne doute jamais de lui. Cependant, le succès fleurit là où le musicien ne l’attendait pas : ce Boléro, cette partition « qui s’autodétruit » et qui « marche extraordinairement. »
Puis vient la douloureuse descente aux enfers de la maladie, l’inquiétude impuissante de ses amis, la mort.
Anne-Marie Lazarini a su donner à sa transposition le mystère qui entoure le secret et la magie du compositeur. Parmi les créations théâtrales de la saison, celle-ci est un heureux miracle.
Photos : © Lot
Ravel de Jean Echenoz d’après le roman paru aux éditions de Minuit
Adaptation et mise en scène d’ Anne-Marie Lazarini
Théâtre des Artistic-Athévains
01 43 56 38 32
depuis le 27 mars jusqu’au 5 mai, puis du 15 novembre au 22 décembre
Tout Echenoz
(week-end de lectures, films, concert, exposition, causerie, librairie)
le samedi 13 avril à partir de 12 h
et dimanche 14 avril à partir de 14 h
www.artistic-athevains.com
23:38 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Livre, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, littérature, artistic athévains, echenoz, anne-marie lazarini | Facebook | | Imprimer
07/11/2012
L’étoffe de nos songes
Zéro ((Bernard Malaka) passe sa vie au lit. Il n’a « plus d’envie, plus de désir ». Sa Mère (Marie-Christine Danède) le compare à « une limace sur un drap blanc », le docteur Crocq (Denis Berner), ne peut le guérir et son père ne veut plus le voir.
Mais est-ce bien son père ? Zéro en doute, et plutôt que d’affronter la réalité, il préfère s’abandonner à ses rêves. Dans un dernier sursaut, Zéro fait appel à Alice (Valérie Alane), qui, à l’aide de son polaroïd, photographie « tous ces rêves qui flottent ».
Or, les rêves ne sont-ils pas « l’histoire de l’inconscient », disait Carl Gustav Jung ? Et justement, le géniteur supposé de Zéro serait un certain Carl Gustav qui aurait sauvé une fille de l’immeuble au cours d’un incendie.
Quand l’image d’un homme aux ailes immenses apparaît, quand Zéro se dédouble (Zéro 2 : Sylvain Katan), quand Betty (Sarah Basini), la sœur que Zéro aurait dû avoir, vient rejoindre les protagonistes sous la forme d’une jeune femme enceinte « depuis vingt-sept mois », le voyage au centre de l’inconscient emporte le spectateur. Il ne s’agit pas de comprendre, mais de laisser l’onde des sensations se répandre.
Christophe Lidon, le metteur en scène, ouvre les portes au flux et reflux de superbes images (Stéphane Cottin), et, comme dans Mister Cauchemar* il délivre un passeport pour les songes rythmés par la musique d’Alvaro Bello.
Betty chante "la matrice fabuleuse", accouche d’un œuf noir qu’elle cajole amoureusement. Elle nous a raconté l’histoire du minotaure mais celle des Dioscures surgit. Ainsi se mêlent les mythes, ainsi Carl August Jung, et Swedenborg les entrelaçaient.
Le théâtre ici laisse le choix au spectateur, il libère les forces obscures, les traces de souvenirs et Valérie Alane, délicatement, nous rappelle que « nous sommes faits de l’étoffe de nos songes ».
photos : © Michael Stampe
Mister Cauchemar* opéra, musique de Didier Goret livret de Valérie Alane, édité aux Quatre-Vents, collection jeunesse, 2005.
Zéro s’est endormi ? de Valérie Alane
Mise en scène de Christophe Lidon
Théâtre Artistic Athévains
Jusqu’au 9 décembre
01 4356 38 32
13:38 Écrit par Dadumas dans Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, rêve, lttérature, philosophie, valérie alane, christophe lidon, artistic athévains | Facebook | | Imprimer